Bilan sur nos tarifs conscients ...

Depuis novembre 2024 et pendant 9 mois, nous avons tenté l’expérience d’un nouveau système de tarification.
L’objectif étant de rendre l’escalade plus accessible en misant sur la solidarité.

Si les débuts ont été encourageants, le modèle a progressivement montré ses limites économiques.
C’est pourquoi, à partir du 1er juillet 2025, nous reviendrons à l’ancien système de tarification pour les entrées.

Cela n’a pas été une décision facile à prendre, mais c’est celle qui nous permettra de continuer à grimper avec vous, dans les meilleures conditions et de continuer à faire vivre nos projets.

Merci pour votre compréhension, vos retours et votre soutien … même quand on doit redescendre un peu avant de repartir vers d’autres sommets 💪🧗

Partie I. Des tarifs différenciés ?

Le quartier où se situe Le camp de base est riche en diversité culturelle et socio-économique. Comme dans beaucoup de grandes villes, de nombreuses personnes y sont précarisées à cause de difficultés structurelles (immigration, familles monoparentales, métiers peu valorisés, etc.). D’autres profitent de dynamiques économiques plus favorables. Cette diversité nous a amenés à réfléchir à la manière d’accueillir tout le monde dans un lieu comme le nôtre.

Pour nous, l’escalade doit rester accessible à toustes. Nous souhaitons donc expérimenter une tarification différenciée et consciente. Ceux qui ont les moyens de payer un peu plus permettent à d’autres de grimper à tarif réduit. Il s’agit d’instaurer une certaine justice sociale, afin que la passion pour l’escalade ne soit pas réservée à une élite favorisée.

Nous proposons trois tarifs pour l’accès à la salle d’escalade :

  • Entrée mouflon·ne – prix allégé (11 €) : pour ceux qui ont besoin de soutien financier.
  • Entrée marmotte – prix équilibré (13 €) : tarif standard, qui couvre les coûts de fonctionnement.
  • Entrée tichodrome – prix soutien (14 €) : pour ceux qui souhaitent contribuer davantage et soutenir la solidarité.

Le prix équilibré est celui qui permet à la salle de fonctionner durablement, couvrant l’ensemble des charges. Le prix allégé est destiné aux personnes ayant besoin d’un soutien financier, tandis que le prix soutien aide à financer l’accès à tarif réduit pour d’autres grimpeurs.

Lorsque les clients arrivent, nous leur présentons ce système à l’aide de supports visuels clairs. Nous ne faisons aucun commentaire sur le choix du tarif, ni ne demandons de justification. Notre système de caisse enregistre les tarifs choisis de manière anonyme.

Nous avons également décidé de supprimer certaines réductions spécifiques (étudiants ULB, abonnés de salles partenaires, etc.) pour rendre le système plus simple et inclusif. Cela représente moins de 3% de nos ventes, mais cela permet d’étendre les avantages à un plus grand nombre de personnes et de garantir une compréhension claire pour tous.

Mouflon•ne

11 €

Tarif allégé

Si vous êtes dans une période compliquée ou que vous ne roulez pas sur l’or.

Marmotte

13 €

Tarif équilibré

Ce tarif permet théoriquement au Camp de base de subvenir à toutes les besoins sans creuser de déficit.

Tichodrome

14 €

Tarif soutien

Votre situation vous permet de payer un peu plus que le tarif d’équilibre afin de soutenir les mouflon•nes et Le camp de base !

Partie II. De la transparence

En préambule de la mise en place d’un tel système, il nous semble essentiel que chacun·e comprenne comment nos dépenses sont réparties :

  • 53% de nos charges sont dédiées aux salaires de notre équipe, ce qui nous permet de maintenir un service de qualité.
  • 26% de nos coûts concernent le bâtiment, incluant principalement les crédits et l’entretien.
  • 11% sont alloués à l’escalade, pour l’entretien des murs, le renouvellement des prises et l’amélioration de l’expérience de grimpe.
  • Les impôts et taxes représentent 4%.
  • Les événements que nous organisons absorbent 4% de nos dépenses.
  • Les 2% restants sont nos coûts énergétiques.

Le prix équilibré, fixé à 13€, représente un point d’équilibre qui permet au Camp de base de fonctionner sans déficits, tout en offrant une expérience de qualité à l’ensemble des utilisateur·ices.

Cependant, pour que ce système fonctionne, il est crucial que chacun soit conscient de l’impact de son choix.

Ce modèle a ses limites : si trop de personnes choisissent le prix allégé, le système devient insoutenable financièrement. C’est pourquoi nous demandons à chacun de faire un choix conscient et de réfléchir à ses propres moyens. En comprenant la répartition des charges et les besoins financiers de la salle, chaque grimpeur peut contribuer à assurer la pérennité de ce modèle solidaire.

Sans cet équilibre, il nous serait difficile de maintenir la qualité des services que nous offrons, ni de continuer à rendre l’escalade accessible au plus grand nombre.

Partie III. Résultats quantitatifs

Avant application de ce système

Période d’étude :

  • 24/10/2023 au 23/10/2024 soit 365 jours
  • 45 246 entrées soit une moyenne de 124 entrée/jour

Les proportions étaient les suivantes :

  • 49% pour le tarif réduit à 11,5€
  • 51% pour le tarif normal à 13,5€

Cela nous amène à un tarif moyen de 12,50€ par entrée unique.

Depuis application de ce système

Période d’étude :

  • 04/11/2024 au 03/06/2025 soit 211 jours
  • 22 703 entrées soit une moyenne de 145 entrée/jour

La proportions sont les suivantes :

  • 45% pour le tarif allégé à 11€ avec une tendance positive
  • 46% pour le tarif équilibré à 13€ avec une tendance négative
  • 9% pour le tarif soutien à 14€ avec une tendance négative

Cela nous amène à un tarif moyen de 12,20€ par entrée unique.

Constats généraux :

  • Diminution des ventes de cartes de 10 séances, sans doute en partie due au fait que le tarif allégé à 11 € est plus avantageux que le tarif standard d’une carte (12 €/séance).
  • Malgré la hausse de fréquentation en “entrée unique”, le chiffre d’affaires par entrée est en baisse, posant la question de la viabilité économique sur le long terme.
  • Stabilisation du tarif allégé au-dessus de 50 % depuis mars 2025.
  • Tarif soutien sous la barre des 10 % depuis janvier 2025, limitant l’effet redistributif du système.

Partie VI. Conclusions

Un essoufflement progressif… et quelques limites à clarifier

Si les débuts du tarif conscient ont été prometteurs, nous constatons aujourd’hui un essoufflement progressif de la dynamique solidaire. La proportion d’entrées au tarif allégé a augmenté, celle au tarif soutien a diminué, et le tarif moyen par entrée baisse chaque mois. En l’état, le modèle n’est plus financièrement équilibré et pourrait, à terme, mettre en danger la viabilité économique de la salle.

Ce système repose sur la confiance collective car la réalité économique de chacun·e est souvent invisible.

Bien que notre objectif soit de rester dans le non-jugement, il est difficile de garder une neutralité quand nous constatons des comportements qui interrogent sur l’appropriation du dispositif. Il arrive que des personnes en apparence aisées, que ce soit par leur situation professionnelle ou leur style de vie, optent pour le tarif allégé, sans toujours sembler se questionner sur la portée solidaire de leur choix.

Dans le cadre professionnel, certaines entreprises ont tenté de facturer des séances à tarif allégé pour leurs salarié·es. Un garde-fou a rapidement été instauré : dans le cadre du B2B, seul le tarif soutien est désormais autorisé, car il nous semble incohérent que des structures tirant bénéfice de ce système solidaire contribuent en dessous du prix d’équilibre.

Ces comportements restent minoritaires, mais ils fragilisent la logique collective sur laquelle repose le tarif conscient. Ce modèle demande une forme d’auto-positionnement lucide, qui passe notamment par une prise de conscience des inégalités structurelles qui façonnent nos vies, même lorsqu’on ne les voit pas.

Ce constat nous ramène à une réalité que la roue du pouvoir et des privilèges peut mettre en lumière : nos positions sociales, économiques, culturelles ou professionnelles influencent nos marges de manœuvre, souvent de manière invisible. Ce n’est pas un problème en soi d’avoir des privilèges mais en prendre conscience est essentiel lorsqu’on participe à un système basé sur la contribution volontaire.

À l’inverse, nous avons aussi été témoins de démarches contraires où certain·es travailleurs·euses des arts, aux revenus variables et souvent modestes, choisissent de payer le tarif soutien lorsqu’ils ou elles en ont la possibilité (après une prestation, une vente ou une résidence rémunérée). Ce type de choix démontre qu’avec une bonne compréhension du modèle, la solidarité tarifaire peut être activement portée par les usager·es eux-mêmes.

C’est cette diversité de comportements, entre abus ponctuels et gestes de solidarité exemplaires, qui nous pousse aujourd’hui à questionner les conditions nécessaires pour maintenir un tel système de manière viable.

Une dynamique fragile, une viabilité à questionner

Le sondage que nous avons mené récemment auprès de nos membres confirme les interrogations soulevées par l’analyse des chiffres 

  • 57 % de nos client·es changeraient de tarifs
  • 66 % de ces client·es opteraient pour un tarif inférieur

Ces résultats, bien qu’indicatifs, renforcent notre prudence : une généralisation du tarif conscient (aux cartes de 10 ou abonnements) entraînerait une baisse significative des revenus sans garantie de compensation suffisante. Cela pose la question de la soutenabilité à long terme du modèle.

Fin (temporaire?) de l’expérimentation

L’idée du tarif conscient reste porteuse de sens. Elle nous a permis de poser des questions fondamentales sur l’accès au sport, la solidarité et notre place en tant qu’acteur privé engagé.

Mais à ce stade :

  • le modèle n’est plus financièrement viable,
  • les comportements solidaires s’essoufflent,
  • notre contexte économique exige stabilité et prévisibilité.

Nous avons donc décidé, avec une grande déception, de rétablir nos tarifs classiques, afin de reconsidérer son fonctionnement, ses limites et ses leviers, et de réfléchir à une version plus robuste, plus juste, mais aussi économiquement soutenable.

L’accessibilité a ses limites : une salle ne remplace pas une politique sociale

Même avec un tarif allégé à 11€, l’escalade reste un sport cher pour de nombreuses personnes. Nous en avons conscience.

Comme toute structure privée, nous faisons face à des coûts importants que nous avons tenté de présenter avec une certaine transparence à nos utilisateur·ices.

Nous croyons sincèrement en une escalade plus inclusive et plus juste. Une salle de sport privée ne peut pas se substituer aux politiques publiques de redistribution des richesses. Le tarif conscient est une tentative créative et introspective mais il ne peut à lui seul compenser les inégalités systémiques. Nous tentons de faire notre part, avec honnêteté, mais sans illusion.

Et maintenant ?

 Nous restons convaincus qu’un modèle tarifaire plus juste est possible, mais pour durer, il doit être à la fois solidaire et économiquement viable.

C’est donc l’occasion de prendre du recul, d’analyser avec les effets du dispositif et de poser les bases d’un éventuel retour mieux structuré, mieux accompagné, mieux expliqué, et surtout, porté collectivement.

Merci à toutes celles et ceux qui ont cru en cette expérimentation, l’ont soutenue avec sincérité, et nous aident à imaginer d’autres manières de faire du sport… ensemble.

Ce tarif conscient n’est peut-être pas encore à la hauteur de nos ambitions, mais il nous a fait grandir. Et des idées, on en aura plein d’autres. À très vite pour la suite.

En attendant, on s’offre un peu de lecture…

Parmi les ressources qui pourraient alimenter nos réflexions pour la suite de nos expériences qui ne font que commencer : une étude en économie comportementale coécrite par Marc Le Menestrel, figure singulière à la croisée de l’escalade et de la recherche en éthique.

The power of requests in a redistribution game: an experimental study

Elle montre que les systèmes fondés sur la solidarité et la contribution volontaire fonctionnent d’autant mieux… quand ils sont bien expliqués, compris et portés par la communauté.

Une lecture éclairante, qui pourrait nous aider à penser une éventuelle version 2 du tarif conscient.

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